L'exploitation du sel dans la France protohistorique et ses marges
Table ronde du Comite des Salines de France
Paris, lundi 18 mai 1998
Sauneries et briquetages. Propos sur la productivité des ateliers salicoles gaulois du Centre-Ouest atlantique de la France.
Les fouilles archéologiques conduites en 1980 sur le littoral du département de Vendée (Brétignolles-sur-Mer) et de Loire-Atlantique en 1983 (Piriac-sur-Mer) montraient la présence, autour de “fours à sel”, de structures attribuées à la concentration de saumure par comparaison aux procédés de lessivage des sables salés encore en vigueur le long du rivage de la Manche au 19e siècle.
Les travaux menés depuis en Bretagne et dans le nord de la France semblent confirmer le caractère indissociable au sein des sauneries proto-historiques d’une phase de concentration d’un produit salin préalable à sa mise en forme à l’état solide dans des creusets dont le gabarit varie d’une région à une autre.
Il est proposé de voir dans les modules de ces “moules à sel”, et dans les systèmes évaporatoire qui les traitent, la reconnaissance d’une frontière technologique en rapport avec les cités gauloises pré-augustéennes.
Au sud de l’armorique, pas un four à sel n’a encore été mis en évidence. Pourtant, la bordure littorale de la Vendée et de la Saintonge regorge de gisements volumineux attribués à cette industrie en raison de la présence de la plupart des ingrédients constitutifs des “fours à sel” (récipients, débris de fourneaux, ustensiles divers).
Dénomés
“dépôt de cendres” depuis le 19e siècle, ces
épendages de débris de terres cuites, de charbons de
bois, et de céramiques (barquettes) dont l’épaiseur
peut atteindre 3 mètres, se répartissent par amas de
5.000 à 50.000 m2 sur le pourtour d’anciennes vasières
maritimes depuis anthropisées (marais poitevin et
saintongeais).
L'exemple présenté
concerne le gisement de Nalliers (département de Vendée
- France, fouille : N. Rouzeau 1982).
Sondage stratigraphique du
gisement de Nalliers (Vendée). |
Détail de la
stratigraphie qui met en évidence la succession des rebuts
d'argiles cuites issus des phases de concentration et
d'évaporation de saumures. |
Détail de la
base de la stratigraphie : noter l'importance et le calibre des
charbons de bois de part et d'autre d'un fragment de pilier
trifurqué. |
Décapage d'un niveau de rejet dans lequel sont inclus des récipients (barquettes) et des éléments de fourneaux. Cliché N. Rouzeau |
Le principal élément constitutif de ces dépôts consiste en fragments de plaquettes d’argiles cuites très fragmentées issues de la slikke (70% / masse volumique du dépôt), d’épaisseur centimétrique, et dont l’un des cotés porte la trace du tranchant d’un outil, l’autre conservant au schage les traces du passage répété de vers de vase.
Les récipents reconnus comme moule à sel sont évalués par tamisage à 7% du dépôt, soit environ 450 unités au m3.
Mis
à part les fragments de piliers de terre cuite, probables
éléments de fourneaux, les seuls objet qui permettent
de rassembler les récipients (barquettes de L : 0,20 x l :
0,08 x h : 0,045 m) dans un système évaporatoire sont
représentés par des boulettes de calage qui ont
conservées les traces adjacentes de plusieurs angles de
récipients dans le dispositif de cuisson.
Boulettes de calage du dispositif évaporatoire des sauneries gauloises du marais poitevin. Cliché : E. Bernard |
Récipent
(barquette) de type picton. |
Eléments de
fours pictons (piliers trifurqués). Cliché
: E. Bernard |
Fragments d'argile
cuite, résidus de la phase de saumurage des sauneries
gauloises de la périphérie du marais poitevin.
|
L’hypothèse
est émise de reconnaître dans les fragments de
plaquettes d’argile issues de la slikke le rebut d’un traitement
sophistiqué de vases apprêtées, puis cuite dans
un feu vif, dans le seul but de diluer par lessivage le sel qui s’y
serait concentré.
Une estimation de la productivité des établissements salicoles Pictons et Santons est extrapolée par analyse des capacités productives de chaque élément constitutif des “dépôts de cendres”. Elle aboutit après exposé d’un regroupement de sources ethnographiques variées à une proposition d’abaque portant sur la productivité saunière des ateliers gaulois de l’Atlantique à partir des rebuts de leurs exploitations.
Les estimations de production proposées, qui s’inscrivent dans une fourchette de 15O à 1.000 kg de sel par m3 de dépôt, s’éloignent très sensiblement de l’idée que l’on se faisait jusqu’il y a peu d’une activité locale suffisant à peine à la consommation des producteurs.
Enfin, l’hypothèse énoncée à propos d’installations de vasières visant la production d’argiles salées dans des dispositifs évaporatoires saisonnier liés au mouvement des marées, mène à y voir une forme de prototype des marais-salants.
Extraction du sel en Basse-Guinée,
observations rassemblées par Didier Joncheray